Ce que les Anglo-Saxons appellent shitstorm, c’est une tempête médiatique qui se matérialise souvent par un déferlement de commentaires négatifs sur les réseaux sociaux. En 2017, la société KTM, basée à Genève et active dans le négoce de pétrole et de gaz, cherchait à engager du personnel sur LinkedIn en précisant que les hommes soumis aux obligations militaires n’étaient pas les bienvenus. Le post a provoqué de nombreuses réactions, obligeant la direction de l’entreprise à s’expliquer et à s’excuser.
Les tempêtes médiatiques et leurs conséquences
En mars 2024, le porte-parole de Migros pour la Suisse romande, Tristan Cerf, était interrogé dans le cadre de l’émission de la RTS A bon entendeur sur l’intelligence artificielle. En s’exprimant, il a maladroitement associé les termes de «guignols» et de «paysans». La phrase sortie de son contexte a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux, allant jusqu’à un appel au boycott du géant orange par certains agriculteurs. L’affaire a ensuite été passablement relayée dans la presse. Mais la tempête s’est vite essoufflée, selon le principal intéressé. «Le service de presse a répondu aux médias en expliquant le malentendu, rappelant que Migros est le principal partenaire de l’agriculture suisse. Quant à moi, j’ai téléphoné personnellement à chaque agriculteur ou agricultrice qui m’avait écrit à ce sujet et les discussions ont été très constructives.» Finalement, la crise n’aura pas duré plus de deux jours.
La RTS a également diffusé dans l’épisode suivant de l’émission une petite séquence où le porte-parole revenait sur la relation de Migros avec l’agriculture suisse et réitérait ses excuses. L’entreprise n’a vu aucun producteur ou fournisseur se désaffilier, ni aucune conséquence sur les ventes. «Malgré tout, on ne sait jamais comment une tempête sur les réseaux sociaux va évoluer dans le temps, car elle est souvent indépendante des actions que l’on mène pour l’enrayer. Parfois, plus on en fait et moins ça se calme», observe Tristan Cerf.
L'importance de la transparence et de la réactivité
Lors de telles situations, le rythme en matière de communication doit quand même être soutenu, selon le spécialiste en communication de crise Jean-Marie Bornet, à la tête d’une agence à son nom établie à Basse-Nendaz (VS). «Une entreprise a tout intérêt à se montrer proactive en informant rapidement les actionnaires, les partenaires et les clients importants, avant que l’affaire ne sorte dans la presse.» Avec une règle d’or: rester factuel et concis, ne surtout pas mentir, ni chercher à cacher le problème ou à le minimiser. Le risque dans ce cas étant d’arriver à un feuilletonnage dans les médias.
Au-delà des maladresses ponctuelles, des agissements plus graves ont forcément des conséquences plus importantes. Jean-Marie Bornet distingue pour cela l’erreur de la faute: «Lorsqu’un ou une responsable commet une erreur, c’est assez facile de la réparer avec des excuses et un exposé des mesures lancées pour corriger le tir. En revanche, une faute en termes de valeurs, par exemple une personnalité ou une entreprise qui associe son image avec des mouvements extrémistes radicalisés, va être difficile à expliquer.» Il faut en tout cas être prêt à ce que des clients ou des partenaires désertent.
C’est ce qui est arrivé au confiseur Läderach depuis que le propriétaire de l’entreprise, Jürg Läderach, a exprimé sa farouche opposition à l’avortement et aux droits des personnes homosexuelles. Dans la foulée, la marque a fait l’objet d’un boycott informel dans la communauté LGBTQI+ et a perdu quelques gros contrats, comme celui avec la compagnie aérienne Swiss. C’était en 2020. L’affaire est passée à la vitesse supérieure à l’automne 2023, lorsque la presse a révélé que le même Jürg Läderach était impliqué dans des maltraitances infantiles survenues dans l’école privée évangélique qu’il avait fondée à Saint-Gall. Conséquences: d’autres contrats de l’entreprise ont été annulés, comme le partenariat avec le Zurich Film Festival. Début mai, des vitrines de l’enseigne ont été également vandalisées au spray avec des inscriptions comme «Fundi Schoggi» («chocolats fondamentalistes»).
Anticiper et gérer sa réputation en ligne
«Aujourd’hui, si on veut mettre à mal une entreprise, il est souvent plus facile de s’attaquer à ses dirigeants ou à ses collaborateurs qu’à l’entreprise elle-même», observe Julien Crozat, directeur de l’Observatoire genevois de l’e-réputation. Pour un dirigeant d’entreprise, il est conseillé d’incarner personnellement sa structure, ce que l’on appelle le personal branding. «En l’incarnant, il capte beaucoup plus de visibilité et d’interactions, notamment sur les médias sociaux, qu’il ne pourrait le faire avec sa société», avance le spécialiste, citant Elon Musk comme exemple type en la matière. Il faut néanmoins agir prudemment et bien connaître les codes des différents réseaux sociaux au préalable, sous peine d’être contre-productif.
Julien Crozat alerte notamment sur les fake news, monnaie courante aujourd’hui. «Pour se protéger, il va impérativement falloir s’afficher. Lors des recherches en ligne, le compte officiel de l’entreprise ou de son dirigeant doit arriver en premier, avant celui de ses détracteurs, qui gagnent autrement en crédibilité s’ils sont les premiers résultats qui sortent sur Google.» Pour suivre son e-réputation, différents outils peuvent être utiles, de la simple Google Alert à un service comme ChatGPT qui peut analyser le caractère positif ou négatif d’un commentaire qu’on lui soumet.
Quelles que soient la nature et l’ampleur de la tempête médiatique, et pour être prêt à réagir, il est impératif d’intégrer en amont les risques dans sa stratégie d’entreprise, puis de planifier les mesures à prendre. «Dans les cas où les problèmes sont dus à des gens peu recommandables, l’entreprise peut s’interroger sur ses modalités de sélection, par exemple», évoque Jean-Marie Bornet. Il faut aussi établir un organigramme qui définit les rôles dans la gestion de crise, ainsi qu’une cellule de veille, tant au niveau de la gestion que de la communication pendant la crise.
Il est également indiqué d’établir une charte des valeurs de l’entreprise et les engagements qui en découlent, à faire signer à tous les membres de l’équipe. «Ainsi, cette charte peut aussi servir de moyen de contrôle. Dans le cadre d’une faute commise par un collaborateur, l’entreprise peut ensuite s’y référer pour dire publiquement qu’elle regrette ses agissements.»