«J’ai passé une enfance magique à Dubaï, où je suis née, et je venais régulièrement en Suisse en vacances avec mes parents. Ces derniers sont tous deux entrepreneurs dans la construction, le métal et les métaux précieux. Ils m’ont toujours laissée libre de mes choix, mais m’ont dit que si j’entreprenais quelque chose, c’était pour y consacrer 100% d’effort. Ce n’était pas grave si ça ne marchait pas, mais il fallait tout donner.
Aujourd’hui, je mange, je dors et je vis pour mes deux start-up: Abilect, fondée en 2020, et Snapbau, lancée au printemps 2024. La première, qui compte 15 collaborateurs, est une plateforme dédiée aux suivis de chantier pour les privés et les gérances; c’est principalement du B2C. La deuxième société est destinée aux professionnels de la construction, pour les aider dans la gestion des achats en obtenant rapidement les prix, ce qui facilite ensuite les soumissions. Là, nous sommes une dizaine et nous recrutons actuellement.
Je sais que mon profil est atypique dans le milieu de la construction en Suisse. J’ai un parcours international, j’ai fait une business school aux Etats-Unis et tous mes amis d’études travaillent pour des banques ou de grands groupes. Mais moi, j’ai choisi de développer des applications dans la construction. Ma famille m’a donné un an pour démontrer que ça pouvait fonctionner.
Mon tout premier projet avec Abilect? Une salle de bains à Bussigny, chez un couple qui fait aujourd’hui encore partie de mes clients, ainsi que, parallèlement, la transformation de combles dans un immeuble vers Aubonne. Je ne suis ni architecte ni ingénieure, mais je sais suivre les travaux et mettre en relation les bonnes personnes. Nous avons développé récemment un module sur notre plateforme pour guider les particuliers dans la recherche de financements pour leurs travaux de rénovation.
Depuis, avec notre solution, nous avons suivi des milliers de chantiers en Suisse, des plus petits à des projets de 5 millions de francs. Nous avons eu la chance d’avoir rapidement Migros (Do It, Micasa) comme partenaire stratégique. Cela nous a fait connaître et nous a donné une certaine légitimité.
J’avais 21 ans lorsque j’ai lancé Abilect, j’étais jeune, une femme, Indienne de surcroît, sur des chantiers en Suisse! En plus, je n’avais aucune formation dans la construction. C’est un secteur conservateur et fermé, mais une fois que vous êtes dedans, vous y êtes pour de bon. Le bouche à oreille a fait le reste. Mon jeune âge, ma curiosité et mon envie de comprendre des problèmes concrets m’ont aidée. J’amène aussi des solutions pour être plus rentable et plus efficace dans un secteur où tout le monde souffre du manque d’organisation. En plus, j’entends parler de chantiers depuis que j’ai 4 ans, par mon père, et j’ai fait des stages dans son entreprise dès l’âge de 14 ans. Les problèmes entre les différents acteurs d’un chantier m’ont beaucoup marquée.
Avec Snapbau, pour laquelle je viens de mener une levée de fonds, je vise le B2B dans la construction. Le modèle est transposable à l’international. L’idée de cette plateforme pour faciliter les achats de matériaux pour les entreprises est venue d’un chantier de rénovation d’une façade que j’avais à Lausanne. Le produit utilisé fissurait. On a essayé de trouver une marque alternative, mais cela a généré cinq semaines de retard. Ce type de problème est très fréquent et les délais se calculent souvent en mois. Snapbau est là pour améliorer le suivi de l’approvisionnement et collecter des datas sur les problèmes antérieurs d’un produit. Tout est centralisé et accessible pour le fournisseur et l’acheteur. Les premiers investisseurs dans ma start-up viennent du milieu de la construction. C’est bon signe.
Mon lien avec l’Inde aujourd’hui? Je n’ai pas de famille là-bas, mais mon père y a des relations d’affaires. C’est un marché très agressif et lorsque vous lancez un produit, en moins de vingt-quatre heures, dix autres sociétés ont développé une solution similaire! Tout va très vite et ça me tente d’explorer un jour ce marché.»