Ne dites rien. Je sais que c’est un titre digne de figurer sur le podium des plus nuls. Seulement voilà, quand on écrit fin décembre, on est au bout de l’année, mais aussi au bout de sa vie. Ce n’est pas une excuse, juste une explication. Cela dit, vous aurez compris que nous n’allons pas parler de grands-parents, mais du monde immensément délicieux du PP, à savoir du PowerPoint.
Je sais que vous adorez. On adore tous. C’est la soirée diapos moderne. Le problème, c’est que la soirée diapos de vacances, c’était déjà extrêmement emmerdant alors que l’on était bien installés sur des canapés, avec un verre à la main et des petites choses à grignoter, entourés de la famille ou des amis. La séance PowerPoint, elle, se déroule de jour, dans une salle sinistre, donc on ne peut même pas piquer un petit somme en «scred»; il y a au mieux le choix entre eau plate et eau gazeuse et au pire rien du tout, et on se retrouve en compagnie de collègues et de supérieurs hiérarchiques qui ne sont pas là pour rigoler du maillot de bain moule-boules de pépé (voyez, je l’ai quand même casé!) ou du brushing pièce montée de maman.
Selon Microsoft, 30 millions de présentations PowerPoint sont créées chaque jour. Vous imaginez le potentiel de gens morts d’ennui que cela représente? Alors déjà, on ne passe pas des diapos mais des slides, s’il vous plaît. Et il y a des codes narratifs, pour «respecter le fonctionnement cognitif». Oui, il paraît que si une personne parle, on ne peut pas lire un texte en même temps parce que cela fait appel aux mêmes canaux cérébraux; par contre, on peut écouter du texte et assimiler une image au même moment. Donc, lesdits slides doivent comporter très peu de mots. Voici les recommandations des spécialistes de la chose: des titres pour structurer la pensée, quelques images simples et sobres, surtout des schémas, pas de sons, pas de répétitions, pas d’effets. Ça donne envie de courir à la salle 8B26 pour assister à cette réunion, n’est-ce pas? Rien que les recommandations donnent envie de prendre un Xanax et au lit. Simple, sobre, pas de sons, pas de répétitions, pas d’effets, pas d’humour, pas d’étonnement, pas de folie, pas d’innovation, des flèches, des formes, des graphiques, pitié, il ne faudrait surtout pas s’amuser, même un mini-peu. En gros la consigne est: faites le plus chiant possible. Remarquez, c’est une compétence, voire un art.
Alors le PowerPoint c’est clivant, scindant, polarisant (tout est polarisé aujourd’hui de toute façon, vous aurez remarqué). Il y a ceux qui le détestent, comme Jeff Bezos, le patron d’Amazon, ou Elon Musk, le patron de plein de trucs, y compris d’une partie de l’Etat américain, bientôt. Ils disent que c’est du temps perdu, que cela rend les gens passifs, que cela donne une fausse impression de contrôle, que cela ne va pas au fond des choses, que c’est mieux de commencer une réunion par la lecture d’un mémo de plusieurs pages en silence et d’en parler après, bref, ils ont banni PP des meetings. Et il y en a d’autres qui ne jurent que par ça, ils sont manifestement plus nombreux, puisque dans la plupart des entreprises du tertiaire, in beamer we trust, et on se retrouve avec des réunions PP qui s’enchaînent sans que l’on sache plus de quoi tous ces machins parlent. Je suis sûre que les gens finissent par rêver en PP. Vous imaginez, vos fantasmes, angoisses et pulsions non exprimées en diagrammes de processus? Le cauchemar.
De toute façon, ce papier que vous êtes en train de lire ne sert à rien, pas plus que le PowerPoint, puisque de nombreuses études universitaires démontrent qu’avec ou sans diaporama (c’est le mot français, si jamais), les résultats sont globalement les mêmes sur le public. Moi, je prétends que l’on peut faire avec un PowerPoint exactement ce que l’on veut, et ce que l’on nous dit de ne pas faire, et je ne m’en prive pas. Des jeux de mots, voire des gros mots, des images décalées, voire zinzins, des photos qui auraient pu figurer dans un diaporama des années 1980, des touches perso, des clins d’œil, des chiffres sérieux et du fun, et que cela provoque des réactions autres que des bâillements ou des envies irrépressibles de consulter son smartphone sous la table. C’est juste un outil, tout dépend de ce que l’on en fait. Donc, il faut consommer avec modération mais pas forcément pousser PP dans les orties. Je sais, là, c’est bien que je m’arrête.