C’est le début d’un long combat: en janvier 2020, un retraité de 77 ans du canton de Berne reçoit une facture de 230 francs. Il n’avait jamais passé la commande présumée auprès de l’entreprise Import Parfumerie, et, d’ailleurs, l’homme n’avait jamais rien commandé en ligne. Il le signale par écrit, mais reçoit malgré tout d’autres factures et rappels, puis finalement une mise en demeure. Désespéré, l’homme s’adresse au magazine de consommateurs de la SRF Espresso. Ce n’est qu’à ce moment-là que les entreprises concernées vérifient sérieusement la commande. Le simple fait que l’adresse e-mail du Bernois se terminait par «.ru» (pour Russie) aurait dû alerter les entreprises. Ce n’est qu’après plus d’un an que l’on a finalement pu établir que le retraité avait été victime d’un vol d’identité. Dans de tels cas, il est généralement impossible d’intenter une action contre les auteurs.

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Les pirates informatiques qui ont attaqué le site Patientendossier.ch le 19 septembre 2022 n’ont pas non plus pu être tenus pour responsables. Ce site est géré par le bureau de coordination eHealth Suisse, qui fournit des informations sur le dossier électronique du patient. Les pirates ont mis la main sur environ 250 noms et adresses e-mail de personnes ayant passé des commandes ou rempli des formulaires de contact.

L’OFSP assure que les informations de santé ou les données sensibles des clients n’ont jamais été affectées par l’attaque. Mais cela aurait pu se passer autrement. Lors d’une cyberattaque contre la plateforme américaine Change Healthcare en février 2024, des informations personnelles et des données de santé d’une partie importante de la population américaine ont été divulguées, selon la compagnie d’assurances UnitedHealth Group. Ce ne sont là que trois exemples qui montrent que la protection de l’identité numérique est devenue un sujet récurrent face aux multiples menaces. Le droit fondamental à la protection de l’intégrité numérique est l’un des éléments qui devraient contribuer à une meilleure protection des données personnelles.

Oui à Genève, non en Valais

Mais de quoi s’agit-il concrètement dans le débat sur le droit à l’intégrité numérique? Il stipule que les données personnelles sont un élément essentiel de l’identité humaine et que chaque personne dispose de droits fondamentaux inaliénables sur ces données. «Par analogie avec le droit à l’intégrité physique et mentale», explique l’avocat Timur Acemoglu, qui conseille les collectivités publiques sur les questions de droit de l’administration en ligne. Il en découle différents droits concrets, notamment le droit à la protection contre l’utilisation abusive des données, le droit à la sécurité des données, le droit à l’oubli, le droit de vivre hors ligne ou encore le droit de ne pas être jugé par une machine. «Même si certains contenus semblent se cristalliser comme une concrétisation du droit à l’intégrité numérique, ce droit n’est pas encore clairement défini», déclare l’avocat.

En juin 2023, le canton de Genève a inscrit le droit à l’intégrité numérique dans sa constitution cantonale. Lors du scrutin, 94,21% de la population a voté en faveur du projet de loi correspondant. L’article 21A de la Constitution genevoise stipule désormais: «Toute personne a droit au respect de son intégrité numérique.» Les Genevois doivent être protégés contre l’utilisation abusive de leurs données et se voir garantir le droit à une vie hors ligne ainsi que le droit à l’oubli. En novembre 2024, le canton de Neuchâtel a adopté un amendement constitutionnel similaire avec 91,5% de votes favorables. Contrairement à Genève et à Neuchâtel, le canton du Valais a rejeté un amendement constitutionnel similaire en mars 2023.

Les partisans de cette modification font valoir que la Constitution doit être adaptée aux défis du monde numérique afin de garantir la protection des citoyens contre l’utilisation abusive des données et les cyberattaques.

Les droits individuels, tels que la protection de la vie privée et le droit à une vie hors ligne, devraient être renforcés. En outre, un tel droit fondamental pourrait accroître la sensibilisation de la population aux risques numériques et promouvoir la formation à l’utilisation des nouvelles technologies. Les voix critiques quant à l’inclusion d’un nouveau droit à l’intégrité numérique dans le catalogue des droits fondamentaux font valoir que les droits fondamentaux existants sont suffisants, car la protection de la vie privée est déjà garantie et que, même en cas d’atteinte dans l’environnement numérique, il s’agit souvent en fin de compte d’une atteinte à l’intégrité mentale ou physique de la personne concernée. Cela est déjà protégé par la Constitution, indique Timur Acemoglu. En outre, les critiques font valoir «qu’il y a peu d’avantages à en attendre, car les droits fondamentaux obligent en principe l’Etat et non, par exemple, les grandes plateformes de médias sociaux ou les entreprises de la Big Tech». On fait également valoir que des dispositions de protection suffisantes existent pour lutter contre la cybercriminalité et qu’elles peuvent être appliquées.

Arnaque au président

En octobre 2023, un Autrichien de 21 ans est arrêté à Küsnacht (ZH). A l’aide d’identités volées, il a demandé une vingtaine de cartes de crédit pour financer un train de vie luxueux. Le montant des infractions s’élève à plus de 100 000 francs.

Dans le canton des Grisons, 25 personnes, principalement des retraités, sont victimes de plateformes de trading en ligne frauduleuses. Elles ont été poussées à investir et ont dû transmettre des copies de leurs documents d’identité. Ces données ont été utilisées pour d’autres activités frauduleuses, ce qui a entraîné des pertes financières considérables.

En septembre 2024, on apprend que la famille de l’ancien pilote de formule 1 Michael Schumacher a été victime d’un chantage. Trois hommes ont été traduits en justice pour cette affaire en décembre 2024. L’accusé principal, âgé de 53 ans, avait menacé la famille Schumacher de publier des photos privées sur le darknet et réclamait 15 millions d’euros. La police a trouvé chez l’homme plus de 900 photos et près de 600 vidéos de la famille, ainsi que le dossier médical numérisé de Michael Schumacher. Le principal accusé a déclaré avoir reçu les photos d’un ancien agent de sécurité.

Il a été condamné à 3 ans de prison pour tentative d’extorsion, son fils de 30 ans à 6 mois avec sursis pour complicité et l’ancien agent de sécurité à 2 ans avec sursis pour complicité. On connaît également l’arnaque dite du «faux président», par laquelle des criminels se font passer pour des dirigeants ou des cadres supérieurs d’une entreprise et incitent les employés à transférer de grosses sommes d’argent.

La voix, le style de langage, voire les images animées sont parfois imités de manière si réaliste qu’ils peuvent tromper. Un cas s’est produit en Valais, où une entreprise a perdu 300 000 francs après que des escrocs se sont fait passer pour le CEO et ont ordonné un virement. Mais pourquoi le droit à l’intégrité numérique n’est-il pas réglementé au niveau fédéral? L’article 13 de la Constitution fédérale prévoit un droit fondamental à la protection de la vie privée, y compris la protection contre l’utilisation abusive des données, explique Timur Acemoglu.

Il en découle également un droit à l’autodétermination informationnelle. Dans certaines conditions, le droit fondamental à l’intégrité personnelle et mentale peut également être invoqué. «Il existe donc sans aucun doute une certaine protection des droits fondamentaux au niveau fédéral», poursuit Timur Acemoglu. Mais cette protection va moins loin que les droits qui seraient introduits dans le cadre du droit à l’intégrité numérique: «Par exemple, le droit de vivre hors ligne n’a pas encore été inclus aux droits fondamentaux existants.»

Une proposition déposée en septembre 2022 au Conseil national visant à inscrire un droit correspondant dans la Constitution fédérale n’a pas été suivie par une majorité assez nette. Cependant, des initiatives similaires ont été lancées dans plusieurs autres cantons entre-temps. «Je suppose donc que le sujet reviendra sur la scène politique fédérale à l’avenir», prédit Timur Acemoglu.

En tant que droit fondamental constitutionnel, le droit à l’intégrité numérique a plusieurs fonctions: il peut être invoqué directement par les personnes concernées et son application peut être exigée auprès des autorités et des tribunaux dans un cas particulier. En outre, il peut également contenir un mandat législatif. Cela devrait être pris en compte dans la législation future et dans l’interprétation du droit existant. C’est à ces niveaux que le droit continuera à évoluer à l’avenir et à se concrétiser. «Il devra également s’imposer face aux intérêts contraires de l’Etat, déclare Timur Acemoglu. Par exemple dans le cadre des poursuites pénales ou de la numérisation des services publics.» Il sera passionnant de voir les effets concrets de ce nouveau droit fondamental dans les différents cantons.

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