«Je suis convaincu que l’époque du home office est révolue», déclarait en octobre 2024 le CEO de Globus, Franco Savastano, dans une interview accordée à la NZZ am Sonntag. Le directeur de la chaîne de grands magasins venait de restreindre le travail à domicile pour ses collaborateurs: maximum un jour par semaine, entre le mardi et le jeudi. D’autres gros employeurs suisses ont suivi une voie similaire en 2024, notamment les industriels Sulzer et Schindler. Aux Etats-Unis, Amazon a supprimé le télétravail à compter de janvier 2025, emboîtant le pas à Goldman Sachs, à Telsa et à SpaceX notamment. Juste après son investiture, Donald Trump a annoncé la fin du travail à distance pour les fonctionnaires fédéraux.

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Sommes-nous en train de tourner la page du télétravail? En Suisse, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS), 36,7% des actifs travaillaient à domicile au moins occasionnellement en 2023 (à peu près stable par rapport à l’année précédente), mais la part des actifs passant plus de 50% de leur temps de travail à domicile a diminué de façon plus nette, passant de 10,2 à 8%. Dans un contexte de pénurie des talents, il paraissait encore difficile pour une entreprise de s’attaquer au home office sans risquer de froisser son personnel ou de compromettre son attractivité sur le marché du recrutement.

Un outil pour réduire les effectifs?

Mais l’emploi s’est fortement contracté en 2024: -10% (et même -13% au quatrième trimestre) selon le Swiss Job Market Index, publié par le Groupe Adecco et l’Université de Zurich en janvier 2025. Certains estiment que ce ralentissement conjoncturel se traduit par un rapport de force moins favorable aux employés. Dans son rapport sur les perspectives d’emploi du quatrième trimestre 2024, Manpower note que 59% des employeurs estiment avoir retrouvé l’avantage dans le rapport de force avec leurs employés.

«Le travail à domicile semble en perte de vitesse, confirme Sandrine Durand-Clarini, coach en emploi et recruteuse indépendante. Dans les secteurs où l’emploi s’est resserré, les entreprises ne sont plus obligées de faire autant de concessions qu’il y a deux ou trois ans pour recruter. Même si les cas extrêmes où le télétravail a été totalement exclu sont encore rares, j’observe chez les employeurs une tendance assez nette à le limiter à un ou deux jours par semaine.» Pourtant, les entreprises qui continuent d’offrir le télétravail bénéficient toujours d’un avantage concurrentiel sur le marché de l’emploi. «La flexibilité vis-à-vis du lieu de travail renforce l’image de l’employeur. C’est notamment un facteur important pour la génération Z, qui se détourne encore très souvent des postes qui ne proposent pas de travail à domicile.»

La réduction du télétravail pourrait aussi avoir été utilisée pour réduire les effectifs. «Plusieurs secteurs ont vécu une année 2024 difficile. Mettre fin au home office a pu constituer un moyen pour certains de se séparer de quelques employés sans les licencier.»

Mettre les équipes sur un pied d’égalité

Le groupe horloger Swatch, qui emploie 16 000 personnes en Suisse, a fermé ses espaces de coworking après une phase test début 2024. La décision a été prise dans le but de préserver le travail en équipe et l’équité entre les collaborateurs. La même raison sera invoquée par le patron de Globus quelques mois plus tard.

«Seuls 20% de nos employés sont techniquement éligibles au travail à domicile. La production et la vente en boutique occupent 80% des effectifs. Nous avons estimé que tous devaient se rendre sur le lieu de travail tous les jours, sauf dans des cas exceptionnels», explique Bastien Buss, porte-parole de Swatch Group. Le fabricant horloger, dont le chiffre d’affaires s’est élevé à 6735 millions de francs en 2024, ne souhaite pas communiquer sur les éventuels départs que cette décision aurait pu engendrer, ni sur les répercussions en matière d’attractivité sur le marché du recrutement. «Le principe de solidarité et de travail d’équipe est parfaitement compris à l’interne», précise le porte-parole.

Frontaliers défavorisés

Autre point d’achoppement pour certains employeurs: le télétravail transfrontalier. En cause: les risques liés à l’imposition et aux charges sociales. «Beaucoup d’employeurs préfèrent éviter le risque de devoir affilier leurs employés auprès des autorités françaises. Nous ne sommes pas opposés au télétravail quelques jours par semaine, mais il est vrai que la domiciliation en France peut compliquer les choses. Dans une petite structure comme la nôtre, nous restons ouverts au dialogue. Mais dans une grande entreprise, il est probable que la direction préfère écarter tout risque», dit David Perez, administrateur de la fiduciaire genevoise Finwise, qui emploie huit personnes.

Rémi* est ingénieur en informatique dans une banque privée, qui n’autorise le télétravail qu’à ses employés résidant en Suisse. Ceux qui habitent de l’autre côté de la frontière doivent se rendre au bureau tous les jours sans exception. «Ce traitement à géométrie variable crée des frustrations chez les employés lésés. La direction ne s’est jamais donné la peine d’expliquer ce choix. Nos supérieurs ont vaguement évoqué les enjeux liés à la confidentialité ou à l’imposition, mais sans convaincre.»

L’informaticien domicilié en France ne nie pas que ces risques existent, mais rappelle que les employeurs disposent d’une certaine marge de manœuvre. Selon la législation en vigueur, le télétravail à raison d’un ou deux jours par semaine n’a pas d’incidence sur le pays d’imposition ou d’affiliation aux assurances sociales. «Il est vrai que certains employés travaillent sur des dossiers trop sensibles pour être traités depuis l’étranger. Mais ce n’est pas mon cas.»

Privilégier l’autonomie des employés

Pour d’autres, le travail à distance reste solidement ancré dans la culture d’entreprise. Chef de la succursale de Swiss Life Select à Yverdon (VD), Julien Schaedgen dirige une équipe de 25 employés actifs dans les services financiers pour ménages privés. Les collaborateurs y bénéficient d’une approche flexible basée sur l’autonomie.

«Les revenus dépendent des performances. Les employés qui remplissent leurs objectifs depuis la maison privilégient le télétravail. Ceux qui évoluent plus efficacement au bureau favorisent le présentiel.» La règle ne s’applique toutefois pas aux nouveaux arrivants. «Il y a bien sûr quelques exceptions, notamment pour les nouvelles recrues, qui doivent se former sur site pendant quelques mois avant de devenir autonomes. C’est une phase qu’il est préférable de ne pas réaliser à distance.»

Chez Finwise, à Genève, le présentiel reste favorisé, mais ne constitue pas pour autant une règle immuable. «Nous sommes une petite équipe. Nous préférons travailler au bureau, car chacun estime cette solution plus avantageuse pour sa propre productivité. Mais nous ne serions pas opposés à l’idée d’accorder des jours de travail à domicile à quelqu’un qui en ferait la demande.»

* Prénom d’emprunt.

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Tina Fischer
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