Les entreprises exportatrices suisses traversent actuellement une zone de turbulences; la situation économique dans les principaux pays acheteurs vacille et a demande en marchandises suisses diminue. De nombreuses entreprises s'estimeront déjà heureuses de parvenir ne serait-ce qu'à maintenir leurs résultats au prochain semestre.
Cette conjoncture déplorable est due à plusieurs facteurs qui se sont accumulés ces derniers temps, comme l’explique Martin Neff, économiste en chef chez Raiffeisen Suisse: "L'économie américaine est en proie à une sévère inflation et à une flambée des taux d'intérêts. En Chine, l'activité est en berne - la faute à la politique zéro covid du gouvernement et à la crise immobilière qui sévit dans tout le pays. Quant aux pays européens, ils sont au bord de la récession en raison des prix élevés de l’énergie.» À cela s’ajoute l’insécurité induite par la guerre en Ukraine. «L’industrie suisse subit des vents contraires venant de toutes les directions.»
Un concepteur de meubles importe de France différentes essences de bois pour un montant de 100 000 euros. Il doit payer la marchandise sous quatre mois. Afin de sécuriser les offres qu’il adressera à ses clients, il souhaite garantir le taux au comptant EUR/CHF de 0,9720 à la date du paiement. Il conclut pour cela avec sa banque une opération de change à terme EUR/CHF au cours actuel de 0,9690 (taux au comptant de 0,9720 moins remises à terme 4 mois 0,0030). Peu importe le taux de change en vigueur au moment du paiement, la banque lui fournira quatre mois plus tard 100 000 euros et lui facturera 96 900 francs. Si le cours de l’euro (par rapport au franc suisse) en vigueur à ce moment-là a augmenté depuis la conclusion de l’opération à terme, le concepteur aura évité une perte de change (voir graphique).
Les devises étrangères sont les premières impactées par ces évolutions. L’euro en particulier a pâti de la crise de l’énergie et son cours est actuellement soumis à d’importantes fluctuations. Une situation qui affecte près de la moitié des sociétés suisses d’import et d’export, parce qu’elles opèrent dans l’espace européen: les factures sont établies en euros et les fournisseurs sont également payés en euros. Les secteurs du textile, de la fabrication de matières plastiques et de papier, de la métallurgie de même que la construction automobile et de machines sont tous concernés.
Dans la pratique, les variations des taux de change empêchent les entreprises de définir des budgets fiables. Les marges bénéficiaires risquent de chuter et en fonction de leur taille, les PME peuvent en faire les frais même avec des montants en devises ne dépassant pas quelques dizaines de milliers de francs. «Le problème, c’est que les prévisions liées aux devises ne sont pertinentes qu’à long terme parce qu’elles reposent sur des modèles comme la parité économique», explique Martin Neff. «Or, les entreprises suisses ont besoin de pronostics à court terme car la plupart des décisions qu’elles prennent en fonction des taux de change sont de nature plutôt immédiate.»
Ces prévisions à court terme sont cependant très difficiles à établir car, comme l’explique notre spécialiste, le taux de change dépend d’innombrables facteurs tels que les évolutions économiques et politiques.
Compte tenu de la fiabilité limitée des prédictions, les entreprises auraient grandement besoin de pouvoir se mettre au diapason de ces fluctuations inattendues des taux de change. Pourtant elles n’en ont souvent pas conscience, affirme Rosario Loria, spécialiste en devises chez Raiffeisen Suisse. Selon lui, de nombreuses PME suisses n’ont pas les connaissances nécessaires pour prendre en compte les risques réels qu’elles encourent en matière de devises. «Les chefs d’entreprise s’inquiètent souvent davantage des contrats qu’ils vont pouvoir conclure et des tarifs qu’ils vont pouvoir facturer. Les risques que peuvent occasionner les fluctuations des taux de change ne font pas partie de leurs priorités et sont souvent ignorés», poursuit-il. La plupart du temps, les entreprises ne commencent à prendre conscience de la problématique qu’après avoir essuyé quelques déconvenues.
Aussi les spécialistes conseillent-ils aux entreprises exportatrices de prendre le problème à bras-le-corps. «Une bonne approche du sujet, doublée d’une stratégie claire, permettra de minimiser les risques, de sécuriser la planification et d’y voir plus clair à l’échelle de l’année», précise Rosario Loria. L’idéal est d’intégrer cette démarche dans le processus de budgétisation annuelle.
- Enregistrer les flux de paiement en monnaies étrangères: déterminer les recettes et dépenses en devises et identifier les risques qui en découlent
- Prévoir une marge de sécurité: affecter aux taux de change du budget une marge de sécurité adaptée au secteur et au modèle commercial
- Tenir un compte en devises: effectuer les transactions en monnaies étrangères sur des comptes en devises correspondants
- Recourir au hedging naturel: réduire «naturellement» les risques de change et renoncer à la conversion en francs en cas de recettes et dépenses dans la même monnaie
- Définir une stratégie et sécuriser les cours: utilisation ciblée d’opérations de change à terme pour garantir les taux de change
Selon les cas, les chefs d’entreprise peuvent procéder de différentes manières (plus d’informations dans l’encadré «Établir un budget en devises»), sachant que la notion de marge de sécurité est absolument essentielle, explique Rosario Loria. «Des projections de cours réalistes assorties d’une marge de sécurité raisonnable réduisent les risques d’écarts de budget négatifs liés aux variations des cours durant l’année.» Si le cours de l’euro est estimé à 1,05 franc par exemple, la raison veut de prévoir une marge de plus ou moins 2 à 3 centimes. Autre exemple de prudence en matière de sécurité de la planification: les opérations de change à terme (voir encadré). Pour obtenir une bonne vue d’ensemble, les spécialistes recommandent aux PME de se faire conseiller avant leur prochaine phase de budgétisation. Le futur événement de Raiffeisen consacré aux devises en sera par exemple l’occasion.
«Perspectives monétaires», l'événement en ligne touchant à l'univers des devises, se déroulera le 22 novembre 2022. L'économiste Martin Neff ainsi que l'expert de Raiffeisen Suisse Rosario Loria aborderont le cours actuel des devises, l'évolution des marchés financiers et l'état de santé de l'économie suisse et mondiale.
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