Ça se bouscule dans les rues de Bonvillars pour acquérir son morceau de truffe d’automne ou déguster un produit confectionné à partir de ce champignon. Ce 31 octobre, malgré la pluie, 2500 personnes se succèdent au 13e marché de la truffe du village du Nord vaudois. Curieux et amateurs sont venus de France voisine, de Suisse alémanique et, bien sûr, de toute la Suisse romande. Les professionnels de la truffe les accueillent sur l’un des 25 stands, en tant qu’organisateurs bénévoles ou pour réaliser des démonstrations. Ils sont éleveurs de chiens truffiers, ramasseurs et cultivateurs, pépiniéristes, restaurateurs et confiseurs. Aucun ne vit uniquement de la truffe, mais un grand nombre d’entre eux en ont fait, au fil des ans, un complément de revenu.
La truffe se plaît en Suisse, à l’état sauvage comme dans les vergers plantés spécialement pour la faire fructifier. «Le pied du Jura est particulièrement adapté, mais la truffe pousse également dans d’autres contrées, comme en Valais, qui a vu une implantation récente chez Yves Quennoz, à Sion», explique le directeur de la pépinière de Genolier (VD), François Goisseaud. Dans le pays, toutes les variétés peuvent être ramassées, ou «cavées» comme on dit dans le jargon.
Entre 700 à 800 francs le kilo
A Bonvillars, près de 50 kilos de truffes se sont écoulés. Les prix du champignon noir sont très volatils en Suisse et suivent l’évolution du marché européen. Ainsi, en octobre, la truffe d’automne – appelée aussi truffe de Bourgogne ou truffe de Bonvillars – s’échangeait autour de 700 à 800 francs le kilo, et la rare truffe blanche (d’Alba) de 4500 à 7000 francs. «Les prix sont très hauts actuellement, un peu trop, relève Frank Siffert, créateur du marché de Bonvillars. En effet, la demande est forte, notamment du fait de la pandémie, avec l’envie accrue de se préparer des plats savoureux à la maison ou de s’essayer au cavage.»
Frank Siffert est à l’origine, avec d’autres passionnés, de plusieurs associations de promotion du champignon noir: Première région truffière de Suisse, Association suisse romande de la truffe (ASRT), Groupement d’intérêt vaudois pour la trufficulture. «Au travers de ces différentes initiatives, nous souhaitions influencer la qualité de la filière en Suisse. Nous favorisons aussi l’éducation au vrai goût de la truffe, pour que le public sache distinguer les variétés, mais aussi les différencier des arômes artificiels contenus dans 95% des produits de la grande distribution.»
Grâce au travail de ces associations et aux subventions accordées par plusieurs cantons depuis le milieu des années 2010, la surface des vergers truffiers en Suisse romande est passée d’une dizaine d’hectares à plus d’une quarantaine. L’actuel directeur de la pépinière de Genolier, François Goisseaud, et son équipe conseillent les futurs cultivateurs. «Nous sommes les seuls en Suisse à proposer des plants truffiers, explique le responsable. Nous réalisons une étude préalable pour voir si le terrain est favorable. Puis, si c’est le cas, nous préparons des plants truffiers avec des graines de plusieurs espèces d’arbres suisses, qui sont ensuite greffés avec une souche de truffe locale.»
Le chiffre: Les investissements pour un verger de 625 plants de truffes d’automne, comprenant tous les services de la pépinière, s’élèvent en moyenne à 18 000 francs. Une fois en production, la marge annuelle brute escomptée est de 7220 francs. Pour un verger de 400 plants de truffes noires, il faut compter 13 320 francs, pour une marge de 14 300 francs.
«Nous avons entre dix et 15 demandes de plants truffiers en moyenne par année, et environ la moitié débouche sur une réalisation», estime François Goisseaud. A Vullierens (VD), Barbara Demont a concrétisé son projet de vergers truffiers en 2014: «Nous avons planté 380 arbres truffiers sur un terrain que mon mari agriculteur ne pouvait pas labourer. Pour l’instant, j’ai trouvé 1 kilo de truffes d’automne, ce n’est donc pas encore rentable, mais nous espérons en tirer un revenu complémentaire pour notre retraite, d’ici à une dizaine d’années.» La parcelle requiert une heure de travail chaque semaine et plusieurs journées par année pour l’entretien et la taille des arbres.
Potentiel pour le canton de Vaud
Conscient du potentiel de la truffe suisse, Vaud Promotion a encouragé le développement de la filière dans le canton. «C’est un point fort de l’offre touristique vaudoise, souligne Christel Porchet, responsable de la campagne œnotouristique de l’organisation. Nous avons promu cette filière par exemple au travers de publications sur les réseaux sociaux ou d’articles dans des magazines gastronomiques. Le but: faire savoir que le canton dispose d’une vraie région truffière, au même titre que la France ou l’Italie, et que la truffe n’est pas réservée à une élite. Il existe des activités autour de ce champignon, mais aussi des produits transformés accessibles.»
Les professionnels qui ont planté des vergers ou pratiquent le cavage peuvent, en effet, tirer un revenu accessoire des expériences qu’ils organisent: balades, dégustations, tables d’hôte. Frank Siffert consacre environ 25% de ses activités à la truffe et multiplie les offres. «Je donne un cours à toute nouvelle volée de l’Ecole hôtelière de Glion. J’organise aussi des ateliers de cuisine, des formations pour apprendre à caver, qui sont d’ailleurs déjà tous réservés jusqu’en janvier.»
Présente sur le marché de Bonvillars, Barbara Demont a vendu presque toute sa marchandise à la mi-journée: crêpes, caramels ou meringues à la truffe qu’elle a elle-même confectionnés à partir de sa récolte. «Je ramasse en truffe sauvage de quoi produire des plats sucrés, que je vends sur plusieurs marchés.» L’entreprise de Barbara Demont emploie trois personnes à plein temps. Ses produits de boulangerie et d’épicerie fine, dont une petite partie est à base de truffe, sont placés dans une vingtaine de points de vente en Suisse romande.
Dans cette filière romande en développement, les restaurateurs proposent des menus durant la saison des truffes suisses, d’octobre à fin février. Les exemples de synergies entre trufficulteurs et chefs ne manquent pas dans le canton de Vaud, à l’image du restaurant O’Vertige, à Montagny-près-Yverdon, ou de la Vieille Auberge, à Valeyres-sous-Rances.
La morille helvétique
Longtemps réservé aux champignonneurs, le champignon conique peut désormais être cultivé sous serre. Plusieurs horticulteurs suisses s’y essaient.
Début novembre, on plantait les morilles à l’Ecole d’horticulture de Lullier (GE). Jean-Marc Vuillod, enseignant en pratiques maraîchères, s’est lancé en 2016 dans la culture de ce champignon très apprécié des Suisses. «Longtemps incultivable, la morille dispose désormais de souches viables, protégées par des brevets, que l’on peut notamment acheter aux sociétés françaises France Morilles ou Les Morilles du Lac à Annecy. Les semences coûtent environ 6 euros au mètre carré.» La récolte du champignon au chapeau conique sombre et au pied blanc démarrera en février et se terminera avec les premières chaleurs. «Il ne supporte pas plus de 25°C.»
L’année dernière, les plantations de Lullier ont donné environ 100 grammes au mètre carré. «Je pense qu’il faudrait que nous atteignions au minimum 150 g/m2 pour que ce soit rentable.» La morille fraîche suisse, comme la française d’ailleurs, est un produit de luxe que les restaurants gastronomiques recherchent. Elle coûte environ 100 francs le kilo. «Quelques-uns de nos élèves songent à se lancer sur ce marché de niche. L’un d’entre eux aimerait notamment développer une souche genevoise.»
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