L’entreprise a un intérêt évident à surveiller l’utilisation que les employés font du web.
Toutefois, plusieurs intérêts contradictoires sont en présence. D’une part, l’employeur doit s’assurer que ses employés ne dilapident pas leur temps de travail sur des sites sans lien avec l’activité professionnelle. D’autre part, la liste des sites consultés par un employé recèle des données personnelles et/ou sensibles. Elle en dit long sur la vie privée et sociale d’un employé, ses loisirs, ses habitudes commerciales, ses opinions religieuses, politiques ou philosophiques, voire même sur ses préférences sexuelles. La Loi fédérale sur la protection des données pose des conditions strictes à la surveillance. Celle-ci doit, non seulement respecter la personnalité du travailleur et le principe de la proportionnalité, mais elle doit encore être précédée d’une information préalable aux employés.
Directive d’utilisation
Selon le Préposé fédéral à la protection des données, l’employeur doit édicter une directive qui définit l’utilisation d’internet et du courrier électronique sur le lieu de travail. Cette directive précisera si l’utilisation privée est tolérée ou non. Elle indiquera quelles sont les activités prohibées telles que la consultation de sites à caractère sexuel ou l’envoi par e-mail de contenus érotiques. Pour finir, elle fixera la procédure de surveillance ainsi que les sanctions en cas d’abus.
Si l’employeur n’édicte pas une telle directive, toute surveillance sera illicite. Elle constituera une atteinte à la personnalité de l’employé qui risque d’exiger réparation. En cas de litige, les preuves récoltées seront écartées par le juge.
Procédure de surveillance
Les entreprises tendent à mettre en place des mesures de surveillance toujours plus intrusives sur le lieu de travail. Quelles que soient les techniques utilisées, une surveillance des employés engendre pour ces derniers un sentiment d’être épiés ou mis sous pression, affectant leur santé.
Pour éviter de porter atteinte à la personnalité de l’employé, l’employeur procédera, en premier lieu, à une surveillance anonyme, qui ne se rapporte pas à une personne déterminée. Elle donne des informations d’ensemble sous forme de statistiques et permet d’établir quels sites ont été consultés.
Si cette surveillance révèle des cas d’abus, l’employeur procédera alors à une analyse des données nominatives. Celle-ci permettra d’identifier le collaborateur responsable de l’abus.
Moyens de surveillance prohibés
Certains moyens de surveillance peuvent constituer une atteinte à la personnalité des travailleurs. Il en va ainsi des instruments d'intelligence artificielle qui évaluent de manière automatisée les données des employés, de l’usage de logiciels espions ou de traqueurs d'activité. De tels moyens de surveillance sont prohibés.
- Grâce à un logiciel espion, une entreprise a établi que son employé consacrait le 70% de son temps de travail à des activités privées sur internet, pour consulter des journaux, réseaux sociaux et vidéos. Suite à cette découverte, l’employé a été licencié avec effet immédiat. Le Tribunal fédéral (TF) a considéré ce licenciement injustifié car le procédé de surveillance était illicite.
Sanctions
Le TF a montré, jusqu’à ce jour, une certaine clémence envers les travailleurs ayant abusé des moyens de communication électronique de l’entreprise. L’utilisation d’internet à des fins privées, pendant le temps de travail ne justifie un licenciement immédiat que si un ou plusieurs avertissements préalables ont été notifiés à l’employé.
- Un ingénieur en logistique est licencié avec effet immédiat pour avoir consulté sur internet, pendant 49h réparties sur 24 jours de travail, des images pornographiques mettant notamment en scène des enfants et des animaux. Le TF a considéré que le licenciement immédiat était injustifié. La consultation à plusieurs reprises de sites internet, même à caractère pornographique, ne saurait justifier un licenciement immédiat sans avertissement préalable. Cet arrêt a été fortement critiqué par la doctrine qui le considère trop laxiste.
- Un collaborateur des CFF a été licencié avec effet immédiat pour avoir consulté des sites porno pendant 80h sur 17 jours de travail. Dans cet arrêt de droit public, le Tribunal fédéral administratif (TFA) a considéré que le licenciement immédiat était justifié, malgré le fait que l’employé n’avait pas été préalablement informé de la procédure de surveillance à son encontre, comme l’exigeait la réglementation interne. Le TFA a considéré que l’intérêt des CFF en tant qu’entreprise fournissant un service public important primait sur celui de la protection de la personnalité de l’employé. De plus, la «fenêtre de blocage» qui s’affichait à chaque fois que l’employé consultait un site porno pouvait être assimilée à un avertissement.
Dénonciation pénale
Lorsqu’un employé a consulté sur internet de la pornographie illégale au sens de l’article 197 du Code pénal, l’employeur procédera à une dénonciation pénale afin de préserver ses intérêts et son image. Il s’agit des représentations pornographiques avec des enfants, des animaux et des actes de violence.
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