C’est une première en Suisse. Les données issues d’entreprises employant 55'634 employés et employées en Suisse romande ont été analysées par le cabinet de recrutement Artemia et sont dévoilées en primeur par PME. Comment se situe la Suisse en matière de parité dans les postes clés lors des recrutements? Que mettre en place pour augmenter la représentation féminine à des positions dirigeantes? On fait le point avec les deux auteures du baromètre. Et ça pique.

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 

«L’objectif était d’avoir un constat chiffré. Ce baromètre est le premier et notre objectif est de le renouveler à l’avenir. Nous voulions comprendre où en étaient les entreprises et quelle était l’expérience des candidats et candidates, leurs attentes et leur appréciation lors du processus de recrutement», explique Claire Guiraud, responsable du projet chez Artemia. «Nous avons donc suivi deux axes, celui des employeurs et celui de personnes qui postulent.»

Sexisme en entreprise : un obstacle persistant

La bonne nouvelle concerne la part d’hommes ayant répondu au questionnaire: un tiers. En revanche, Claire Guiraud relève un point préoccupant: «Deux tiers des postulantes signalent avoir été exposées à des situations de sexisme léger à grave.» Cela va de la question lancinante sur la maternité à des gestes déplacés, en passant par les clichés sur la supposée fragilité ou dureté des femmes managers.

Plus nouveau, l’étude met en lumière le fait que la mixité d’une entreprise est un critère de choix ou de départ pour les collaborateurs et collaboratrices. Ainsi, un peu plus d’une femme sur deux (55,7%) privilégiera une entreprise avec de la diversité ainsi que plus de 40% des hommes. Ce pourcentage augmente chez les plus jeunes. Ce résultat souligne l’importance, pour la rétention et l’attraction des talents, de renforcer la représentation féminine dans le management. «La mixité dans les postes dirigeants est un enjeu stratégique clair pour les entreprises, d’autant plus en période de pénurie de main-d’œuvre», souligne Eglantine Jamet, cofondatrice d’Artemia.

A l’inverse, l’absence de mixité a des effets négatifs et, selon le baromètre, 10% des répondants ont évoqué le manque de femmes à la direction comme raison de leur départ. «Les hommes et les entreprises ont quelque chose à gagner de cet équilibre des rôles. Cela implique de revoir le leadership à l’ancienne», ajoute Eglantine Jamet. Hommes et femmes aspirent au temps partiel, au télétravail et à la flexibilité des horaires. Cela profite à l’ensemble et ces mesures ne sont pas mises en place spécifiquement pour les femmes, comme cela est parfois encore communiqué ou perçu.

Rappelons que l’Observatoire international de la féminisation Skema a mesuré pendant le covid les cours boursiers de sociétés dirigées par des femmes. Celles-ci semblaient mieux résister aux crises et être plus rentables, relèvent plusieurs articles coécrits par Michel Ferrary, professeur de management à l’Université de Genève. «Les six banques européennes aux conseils d’administration les plus féminisés (entre 43 et 50% de femmes) ont vu leur cours de bourse augmenter de plus de 215% depuis 2010», mentionne-t-il dans le ThinkForward de Skema. Le pourcentage n’était que de 4% pour les banques dirigées essentiellement par des hommes.

«La mixité dans la direction d’une entreprise amène de la performance, de l’innovation et une réduction des risques pour l’entreprise», corrobore Eglantine Jamet. On se souvient de la célèbre déclaration de Christine Lagarde, ex-directrice générale du FMI, qui arguait que si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, elle n’aurait peut-être pas fait faillite…

Les employeurs romands figurant dans le baromètre ont, eux aussi, pris conscience de l’intérêt de capitaliser sur les femmes et de leur donner davantage de crédit. Ainsi, deux tiers des entreprises répondantes ont formalisé leur volonté d’accroître le nombre de femmes à la direction. La réalité des faits est cependant tout autre. «En Suisse romande, un salarié sur deux est une femme. Pourtant, dès qu’on arrive dans le management, elles ne sont plus que 32%, et ce chiffre chute à moins de 6% pour la tête des très grandes entreprises, pointe Claire Guiraud. C’est une situation très inégalitaire qui fait que la Suisse est mal classée sur les questions de genre dans le monde professionnel, à savoir 53e parmi les pays du Forum économique mondial (WEF) en 2024.»

Des initiatives concrètes pour une meilleure égalité

Autre résultat contrasté: rares sont les entreprises qui forment sur les biais de genre. Chez Ello Communications, le directeur général, Sébastien Dufaux, a participé au programme «My mentor is a woman» de la Fondation ImpactIA. Une approche dans laquelle l’homme dirigeant se fait «mentorer» par une femme. Vanessa Bao, membre du comité de direction de son entreprise, a également participé au programme. Ce partage d’expérience permet de s’interroger sur ses propres biais. «J’ai pris conscience que ma manière de diriger n’était pas neutre, mais marquée par mon histoire et mon genre, relève-t-il. Les femmes doivent surmonter plus d’obstacles pour se développer professionnellement. Elles sont pourtant une véritable force, que ce soit comme cadres ou dans les postes technologiques.»

Depuis, l’opérateur télécom a mis en place une série de mesures concrètes. Sébastien Dufaux a écouté en entretien individuel toutes les femmes de sa PME. Parallèlement, l’entreprise neuchâteloise de 42 salariés et salariées a repensé ses offres d’emploi, encouragé les postes à responsabilité pour les femmes, sensibilisé l’ensemble de sa société et mis en place des sanctions envers les comportements sexistes. Pour répondre aux demandes faites lors des entretiens, il a instauré le temps partiel pour les postes à responsabilité et aménagé les horaires, par exemple pour les jours de rentrée scolaire, pour les hommes comme pour les femmes. «Les bénéfices sont clairs. Les talents féminins se sont davantage exprimés, même si elles restent en minorité, pour se muer en leaders. Pour conserver sa main-d’œuvre, il faut un environnement propice et s’intéresser à la diversité dans sa société devrait être obligatoire.»

Attention, reformuler les offres d’emploi ne signifie pas seulement utiliser le langage épicène. Il faut éviter les formules telles que «leader charismatique» ou les discours paternalistes lors du recrutement. «Le terme de leadership lui-même doit être redéfini en amont du processus afin de savoir ce qu’on y met», conseille Eglantine Jamet, signalant que certaines entreprises jouent même la provocation en publiant leurs offres d’emploi seulement au féminin.

Cadre légal et discrimination positive: quelles limites ?

Et que dit le cadre légal? La loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg) est entrée en vigueur en 1996. «Elle contient tout ce qu’il faut, décrit le harcèlement, l’égalité salariale, mais est-elle appliquée et applicable?» s’interroge Eglantine Jamet. Depuis 2021, la révision du droit de la société anonyme encourage les sociétés cotées en bourse à avoir 30% de femmes au conseil d’administration et 20% à la direction. «Ce sont des recommandations, il n’y a pas de sanctions, mais cela pousse les entreprises à se mettre en conformité», note Artemia.

Souvent évoquée, la discrimination positive lors du recrutement permet d’augmenter la représentation féminine à des postes clés. Est-elle cependant légale en Suisse? «C’est une terminologie chargée. Mais oui, elle peut s’appliquer si elle est justifiée et transitoire (art. 3, al. 3 de la LEg). Par exemple si un comité de direction compte neuf hommes pour une seule femme. Il est intéressant de considérer la mixité comme un critère en soi à rechercher pour améliorer la performance de l’équipe», conclut Eglantine Jamet.

>> Lire aussi: Compte-rendu de la Matinale de PME du 3 décembre 2024 consacrée à ce thème

Où sont les PME?

Une trentaine de responsables RH d’entreprises (qui représentent au total 55'634 employés et employées) ont répondu au questionnaire élaboré par Artemia ainsi que 168 hommes et femmes en quête d’un nouveau poste. Cela signifie que le panel est principalement composé de sociétés et d’institutions de très grande taille. Les PME et microstructures sont donc sous-représentées dans ce baromètre: 12%. Par ailleurs, les secteurs de la santé, de la mobilité et des sciences de la vie dominent dans l’étude.

Plusieurs raisons à cela, explique Eglantine Jamet, cofondatrice d’Artemia: «C’est le reflet de l’engagement pour la mixité. Les petites structures n’ont pas pris le temps de répondre ou n’ont pas toujours de données sur la mixité. Ensuite, l’industrie des machines et l’horlogerie sont souvent des groupes familiaux et sont peu matures sur ce thème.» Selon elle, cela n’influence que peu les résultats.

Dès lors, le plafond de verre serait-il plus épais dans les groupes que dans les PME et start-up? «Plus les entreprises sont grandes, et donc plus les postes sont prestigieux, bien rémunérés, et plus il y a de «pouvoir» en jeu. Il est donc plus difficile pour les femmes d’y évoluer», estime-t-elle.