Aux Etats-Unis, un employé a été abandonné à 4200 mètres d’altitude par ses collègues. En Suisse, une équipe d’une vingtaine de personnes s’est brûlé les pieds en marchant sur des charbons ardents au bord du lac de Zurich. La presse relaie volontiers ces flops du team building. Dans leur essai La comédie (in)humaine, paru en 2019, la philosophe française Julia de Funès et son concitoyen économiste Nicolas Bouzou s’inquiétaient de voir une forme d’«injonction au bonheur» s’immiscer dans le cahier des charges des managers. Selon Maxime Morand, spécialiste en ressources humaines, cette tendance trouve ses racines aux Etats-Unis, où la culture du travail veut que les employeurs soient responsables du bien-être de leur personnel. Poussé à l’excès, ce rapport à la vie professionnelle, parfois perçu comme paternaliste, a donné lieu à des situations ubuesques.

Concept flou

«Il faut effectivement se demander ce que l’on attend d’une activité de team building, si elle permettra vraiment aux participants d’affûter leur esprit d’équipe ou de régler des problèmes qui ont du sens sur le plan professionnel, souligne Estelle Mugnari, psychologue du travail et des organisations. Beaucoup d’activités extravagantes ne répondent pas vraiment à ce besoin.»

Le team building est-il, comme le disent certains, une pratique incompatible avec les coutumes européennes et source de malaise pour les employés? «Il ne faut pas céder à cette affirmation péremptoire», estime Barbara Ferrari, spécialiste en stratégie d’entreprise. La Tessinoise est associée du cabinet Takt, fondé en 2020 et basé dans le canton de Fribourg. «Les activités de team building ne sont ni mauvaises, ni contre-productives en soi. Mais elles peuvent le devenir si elles sont utilisées à mauvais escient.» L’un des pièges à éviter est de prendre ces activités pour des remèdes à des problèmes stratégiques ou structurels.

«Si les rôles sont mal distribués ou si les objectifs sont abstraits, l’équipe s’expose à des dysfonctionnements.» Les tensions qui en découlent inévitablement peuvent pousser les chefs d’équipe vers des solutions faciles mais peu efficaces, comme des activités récréatives entre collègues.

Ces activités ne permettront pas de régler les éventuels problèmes de management, ni de renforcer l’esprit d’équipe. «Pire, la démarche risquerait même d’aggraver la situation. Le collaborateur pourrait avoir l’impression que son supérieur ne prend pas son rôle au sérieux», prévient Barbara Ferrari.

Or les employeurs qui organisent des journées de divertissement hors du bureau ne font pas forcément fausse route. «Pour cultiver la confiance et renforcer l’engagement de leurs salariés, les employeurs doivent aussi apprendre à célébrer les succès ou à marquer la fin d’une période stressante. En somme, témoigner leur gratitude. Par exemple, aller faire une partie de bowling ou du tir à l’arc peut être un excellent moyen de passer du bon temps entre collègues.»

Attention toutefois à ne pas tomber dans l’excès. «Certains managers organisent une journée en extérieur pour la simple raison qu’il leur reste un budget à dépenser, parfois en négligeant les implications pour leurs collègues, constate la psychologue du travail Estelle Mugnari. Toute journée passée à l’extérieur demande une certaine organisation en amont qui peut générer du stress. C’est un paramètre dont il faut tenir compte.»

Journées au vert

Pour des activités en extérieur portées sur le volet stratégique, Barbara Ferrari propose notamment les jeux de piste. «C’est un moyen très efficace pour stimuler le travail d’équipe et souder le personnel, pour autant que ces activités débouchent sur des actions concrètes après le retour au bureau.» La marche en forêt constitue également une autre solution pour soutenir la prise de parole et stimuler la recherche de solutions dans un environnement plus paisible que le lieu de travail. «Lorsqu’on marche les uns à côté des autres, la parole est souvent plus libre. Les interlocuteurs ne se regardant pas directement dans les yeux, ils sont moins inhibés par le regard d’autrui.»

Pour Estelle Mugnari, les cadres doivent prendre le temps de se préoccuper de la sécurité psychologique de leurs équipes, notamment en accordant leur présence de façon récurrente afin de créer des liens professionnels plus étroits lors des pauses ou des repas. «Les supérieurs doivent à cette occasion veiller à donner un feedback bienveillant, même pour suggérer des améliorations, et à prendre le temps de saluer les bonnes performances.»

«MasterChef» et «Koh-Lanta»

Au Mont-sur-Lausanne (VD), la petite société BeCorpo s’est spécialisée dans les soirées et journées d’entreprise. Pour sa fondatrice, Nathalie Autret, «notre mission consiste à animer des moments de célébration entre collègues, en y apportant une touche d’originalité. La responsabilité de résoudre les conflits internes incombe aux managers et aux ressources humaines. Mais parfois un team building récréatif entre collègues peut aussi contribuer à alléger les tensions.»

Chaque année, elle et son équipe organisent près de 200 soirées et journées d’entreprise, souvent accompagnées d’activités récréatives. «Nous couvrons toutes sortes d’événements, de l’apéritif aux journées à thème.» Koh-Lanta, MasterChef ou encore Fort Boyard, le catalogue de BeCorpo propose notamment de se plonger dans le décor et les aventures de jeux télévisés à succès, sans le stress des caméras.

Quelle que soit la formule choisie, le but est de s’amuser, de célébrer la fin de l’année ou le succès d’un projet, plutôt que de littéralement «construire une équipe».

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